Une théorie féministe de la violence
- EAN 9782358722049
De nos jours, dans notre Occident moderne et progressiste, il est difficile
d’imaginer de politique publique qui ne fasse mention des droits des femmes.
Selon un retournement particulièrement cruel, les gouvernements n’en retiennent
que l’aspect le plus franchement répressif, à savoir la lutte contre les
violences faites aux femmes. Dans ce livre, et après avoir signé un pamphlet
pour un féminisme décolo- nial, Françoise Vergès propose de prendre à bras-
le-corps ce pont aux ânes des violences. Elle propose de retourner la question
: qui produit la violence? Quelques hommes violents et délinquants sexuels, qui
sont d’autant plus exposés à la vindicte publique qu’ils sont noirs, arabes ou
musulmans ? Ou est-ce avant tout l’État, son armée, sa police, ses prisons,
ses appareils idéologiques? Dit comme cela, la réponse semble s’imposer, pour
autant qu’on s’inscrit dans la politique d’éman- cipation. Il est beaucoup plus
difficile de tirer toutes les conséquences de ce principe louable : accuser
l’État et le système d’abord. On sera vite tenté de s’arrêter en chemin par
un « je sais bien, mais quand même » : comment protéger les victimes? Que
faire des agresseurs si l’on s’attaque à la police et aux prisons? L’urgence
n’est-elle pas d’abord d’enregistrer les plaintes pour viol, ou d’empêcher un
homme de tuer sa femme en imposant l’éloigne- ment de l’agresseur ? Et
pourtant, Vergès montre qu’il est plutôt urgent de dissocier la protection et
la violence de l’État. C’est pourquoi il s’agit de commencer par montrer
combien la soi-disant protection de l’État est elle- même partie prenante de
la spirale de la violence qu’il s’agit d’enrayer. Cette folle mécanique, c’est
la production de masculinités toxiques par la prison; c’est la persécution des
hommes racisés et la violence en retour qui s’abat sur les femmes racisées;
c’est la guerre civile préventive dans les quartiers populaires et la guerre
civile tout court dans le Sud global; c’est la destruction des familles
populaires et racisées sous les coups de boutoir du néolibéralisme et du
racisme. Dans ce contexte, une politique de la préven- tion est à penser à
travers le démantèlement de ces structures, à travers une autre idée de la
justice (plutôt réparatrice que punitive), à travers la recon- naissance des
mères prolétaires et racisées comme sujet féministe, à travers une
politique de paix civile.
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