Pressoir
- EAN 9782877042659
Seize années séparent la publication d’Essart (Unes, 2021) de celle de Pressoir.
Seize ans marqués pour Gabriela Mistral par des déchirements collectifs – la
seconde guerre mondiale – et intimes – le suicide de son fils adoptif Miguel à
l’âge de 17 ans. C’est pourquoi Pressoir, paru en 1954, dernier livre que
publiera Mistral avant sa mort trois ans plus tard, est à ce point marqué par la
séparation et l’arrivée, la construction et la défaite. Sentiment renforcé par
les errances successives dues à sa fonction de consul. Si la capacité de
transfigurer le monde, d’imprégner la terre de sacré et de mythologies qui
soulevait les poèmes d’Essart semble avoir disparu de ce livre plus solitaire,
c’est que la métamorphose est ici plus secrète, plus animale. L’immense
bestiaire a disparu, il ne reste que la biche et le coyote. Les vallées et les
fleuves sont loin, il ne reste que les murs de la maison. Livre intérieur, livre
de portes, de fenêtres et d’escaliers, livre de fer et de ciment : « nous avons
remplacé l’univers par un mur et une conversation », dit Mistral qui cherche les
êtres aimés dans le noir d’une vie qui s’en va. La langue et l’espace se sont
resserrés, les vers raccourcis, les poèmes acérés, leur souffle se fait plus
bref. Le monde est nu et écorché, plein d’arbres brûlés, « maintenant je vais
apprendre le pays de l’âpreté » dit-elle en glissant d’un poème à l’autre, entre
deux buées, semblant s’enfoncer toujours plus loin vers l’autre rive, la rive
inconnue de la disparition et des retrouvailles rêvées. Mistral convoque toute
la force du deuil, du souvenir et de l’amour, convoque au fil de poèmes
bouleversants les visages chers, les dernières promesses de pitaya et de menthe,
de pain et de sel. Et même si les « fruits sont sans lumière », même si « la
lumière est malade » et que les regards perdus sont « de pure absence et d’exil
», la poète chilienne fait là sa dernière ronde avant minuit, son ultime
vagabondage dans sa terre désolée – « rase patrie, rase poussière » – ¬elle
puise dans son cœur esseulé et dans le sentiment d’abandon qui l’envahit la
beauté d’un dernier chant. La parole est difficile, préservée au creux de la
main comme une flamme légère, fragile dans la nuit du givre. Le resserrement de
la langue n’est pas un tarissement de l’inspiration, des puissances
exceptionnelles qui traversaient ses précédents livres, mais « un rêve qui
chemine », une réduction du poème à son seul espace possible dans un monde qui
se referme. Réduction à l’essentiel d’une parole rare dont Gabriela Mistral,
danseuse qui danse « la danse de la perte », préserve et transporte la lumière
pour transmettre son dernier message terrestre avant la nuit.
€23,00
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